En quoi la pratique du surf peut-elle être bénéfique au psychisme de l'individu ?Réponse de Fernando de Amorim, psychanalyste et surfeur
Nous allons essayer de développer la relation entre la pratique du surf et les bénéfices psychiques que tout un chacun peut en retirer. Le surf offre une relation du surfeur avec lui-même et avec son corps. En outre, il produit une bonne fatigue, ouvre l’appétit et crée une relation avec l’autre, en l’occurrence avec un autre surfeur. Voici mes arguments :
Relation du surfeur avec lui-même…
Parfois ça ne va pas du tout. A l’école, au collège, à la fac, au travail, avec la copine, le copain, les potes. Il me semble que le fait d’aller faire du surf aère l’esprit (une âme saine dans un corps sain). Aérer l’esprit ici signifie penser, penser au problème et à sa solution. A mes débuts, surfer signifiait être ennemi du savoir. Cela était vrai pour quelques-uns et encore aujourd’hui j’ai croisé la vague de quelques étourdis qui négligent la vie scolaire, professionnelle, pour vaguer dans la vie en prenant comme excuse leur amour du surf. Je ne suis pas de cette planche-là ! Le surf exige une rigueur et une discipline à toute épreuve. Un surfeur c’est quelqu’un qui pense ! Et penser c’est mettre ensemble et de façon dynamique des ressources mentales comme la réflexion, la mémoire, la représentation et la cognition. Tout cela ensemble va décider, ou non, le surfeur à se préparer à prendre la vague, par exemple. Cet exercice se répétera tout le temps qu’il sera dans l’eau. C’est un excellent exercice pour l’esprit du jeune comme du moins jeune (mon cas !). Le penseur de Rodin est trop coincé pour faire du surf. Il réfléchit tellement et avec tant de lourdeur qu’il risque de se noyer. Non, le surfeur réfléchit activement, à toute vitesse, en tenant compte de plusieurs données : tout est calcul dans la pratique du surf, un calcul qui danse. Il faut prendre en considération le vent, la formation de la vague, les courants, le moment d’accélérer la puissance de ses bras pour prendre celle qui va l’emmener vers la joie. Et la joie, la jouissance, le surfeur sait qu’elle n’est pas infinie. Elle a un temps, un temps déterminé. En ce sens, le surf met en œuvre la délicate expérience de la discipline et de la limite. Dans l’eau, le surfeur ne peut pas s’en prendre à ses parents. S’il ne surfe pas bien c’est parce qu’il n’a pas bien travaillé… son surf. Et s’il a bien travaillé et qu’il est même un excellent surfeur, pour quelle raison n’a-t-il pas pris de vagues ? Les raisons sont multiples, et voici celles que je choisis de donner : parce que la vague n’a pas voulu de lui, parce qu’il n’y a pas de vent aujourd’hui (ou parce qu’il y en a trop). Ainsi, le surf donne à chacun cette leçon essentielle pour la vie et pour la formation d’un homme : l’existence des forces puissantes avec lesquelles il ne peut pas badiner, le psychanalyste Jacques Lacan appelait cela le réel.
… et avec son corps
L’imaginaire de la population en général voit le surfeur toujours blond, hâlé, avec des tablettes de chocolat. Le corps du surfeur est son premier « chez soi ! ». Les bénéfices de la pratique du surf sont multiples : on apprend à aimer son corps, à le traiter bien, à connaître ses frontières (quand on méconnaît ses frontières ont boit la tasse, ou on meurt). Je connais un type qui dès qu’il entre dans l’eau commence à chanter. Un jour un surfeur lui a demandé s’il chantait ainsi tout le temps. Il a répondu : « seulement quand je suis très heureux…ou un peu triste ! ».
Il s’agit d’une pratique où nous devons – c’est une exigence – être en forme. Inévitablement, le surfeur est attentif à son corps et bien entendu à ce qu’il mange et ce qu’il boit. C’est une hygiène de vie qui s’introduit dans la pratique joyeuse même du surf, comme une relation intime entre la main droite et la main gauche, comme dit le poète Pessoa.
Le surf produit une bonne fatigue,
Rien de plus agréable que rentrer dans l’eau inquiet, tendu, énervé et de sentir, au fil des vagues, que ce nœud, cette boule qu’on avait dans le ventre, fruit de la tension, s’est transformé en fatigue, une bonne fatigue, celle qui est le fruit d’un effort musculaire…et est plus agréable.
…ouvre l’appétit et
Inévitablement, cette fatigue, au lieu de couper l’envie de passer à table, comme c’est le cas des patients atteints du syndrome de fatigue chronique ou des maladies plus graves, ouvre l’appétit et nous donne une sensation de plaisir à manger.
…crée une relation avec l’autre, en l’occurrence avec un autre surfeur
Dans l’eau il y a des règles entre surfeurs et celui qui les négligerait risque gros. « Risquer gros » veut dire se faire des ennemis, créer des conflits, voire provoquer des accidents, plus ou moins graves. Le surf n’est pas un jeu, c’est une façon de lire la vie. Dans la vie il y a des grosses vagues et des petites, ou bien pas de vague du tout. Dans tous les cas, il est conseillé de tenir bon. « Tenir bon » n’est pas un impératif catégorique kantien mais une invitation à ne pas prendre de décisions hâtives. C’est ce que le surf semble nous apprendre. Les surfeurs, ensemble, alignés sans pour autant être en rang, tournent le dos à la terre. Dans un silence plein de respect et concentré, ils attendent, patiemment, la vague, leur vague. Ils attendent en silence jusqu’à ce qu’un clown décide de faire des siennes, comme hurler, chanter, enrager.
Conclusion
Nous pouvons reconnaître plusieurs bénéfices à la pratique du surf. Ils vont de l’apprentissage d’un savoir vivre avec l’autre et ses différences, d’un savoir faire avec son propre corps, jusqu’au savoir, « tout simplement, sans mystification », comme dit le poète Drummond de Andrade, sur soi-même et ses limites.
Fernando de Amorim est psychanalyste et l’actuel directeur de la consultation publique de psychanalyse (Paris IXe). Il a commencé la pratique du surf à 14 ans. Dès qu’il le peut il fait un saut à Biarritz. Sinon, toujours dans la logique d’unir l’agréable à l’agréable, il accepte des invitations pour des conférences sur la psychanalyse et la pratique médicale…dans des endroits où le surf est possible (les dernières conférences au Brésil à l’Université de Rio de Janeiro et au Maroc, lors d’un colloque d’andrologie).